L’idée de cet article m’est venue suite à une remarque que l’on m’adresse régulièrement : « Mais, tu as fait des études de chimie et aujourd’hui tu passes ta vie à lire et à écrire ? En fait, tu es quoi ? Scientifique ou littéraire ? » Les deux mon Capitaine ! On a coutume d’opposer ces soi-disant extrêmes, notamment dans notre système éducatif. Pour moi ils ont toujours été étroitement liés. Voici donc quelques-unes de mes réponses lorsque quelqu’un prend l’air dubitatif et me demande : « Peut-on écrire vraiment un livre quand on est scientifique ? »
Les avantages d’un esprit cartésien…
Bien sûr, aucun suspense. Si vous me suivez via la newsletter ou les réseaux sociaux, vous savez bien ce que j’en pense : tout le monde peut écrire ! Mais les scientifiques disposent de quelques atouts bien utiles.
L’obsession d’une structure solide
Les scientifiques détestent le désordre. Tout au moins celui qui n’est ni sujet d’étude ni curiosité de la nature. Cet attrait pour ce qui est logique et bien organisé leur donne un précieux avantage pour écrire un livre professionnel, un guide pratique ou même l’histoire de leur vie.
Les personnes que j’accompagne éprouvent souvent de grandes difficultés à structurer leurs propos. Les idées viennent et s’amoncellent, formant un tout cohérent pour leur auteur… mais pas forcément pour le lecteur. Surtout s’il est débutant, ce dernier a besoin d’être guidé et de pouvoir se référer à une table des matières ou un sommaire explicite et suffisamment détaillé. La plupart des esprits cartésiens ne seront satisfaits que lorsqu’ils auront bâti un plan solide. Je dirais même plus : ils y prendront du plaisir.
Ajoutons à cela qu’ils ont souvent l’habitude de rédiger thèses, mémoires, articles et autres publications scientifiques. Qu’ils aiment ou non le fait d’écrire, ils y sont souvent confrontés et, en théorie, savent structurer un document.
Rigueur et précision
« Rigueur et précision ! » C’est ce que répétait régulièrement l’une de mes profs de physique-chimie, que je n’ai jamais oubliée. J’en profite ici pour la remercier de m’avoir inculqué ce principe tellement utile au quotidien. Tellement utile également lorsque l’on veut transmettre par écrit.
Une explication n’est pas claire ? Un exemple n’est pas suffisamment spécifique ? Pas question de passer outre ! Rigueur et précision… Les scientifiques voudront clarifier et ne rien laisser au hasard. Le lecteur y trouvera son compte, surtout si le sujet est un peu technique.
Prouver plutôt qu’affirmer
Au cours de leurs études, les scientifiques ont pris l’habitude de tout démontrer. Hormis quelques axiomes, leurs moindres affirmations doivent être prouvées ou étayées par l’expérimentation.
Quel intérêt pour l’écriture d’un livre ? Ce souci d’objectivité leur confère une certaine crédibilité. À titre d’exemple, je conseille toujours aux écrivains en herbe de mentionner leurs références en annexe ou en note de bas de page. S’ils évoquent une étude ou un ouvrage, qu’ils n’oublient pas d’en indiquer l’auteur, l’année et le contexte. Les scientifiques le feront naturellement.
Personnellement, je suis plus encline à croire un auteur s’attachant à démontrer ses propos plutôt qu’à les asséner sans aucune preuve.
…et ses petits travers
Soyons honnêtes, les scientifiques ont parfois les défauts de leurs qualités…
Leur amour de la précision peut se changer en perfectionnisme et les ralentir dans leurs projets. À force de vouloir tout expliquer, ils en deviennent rasoirs, voire soporifiques. Attention aux notes envahissantes et aux annexes se prenant pour des dictionnaires !
Bien heureusement, il suffit souvent d’en avoir conscience pour contrer ces travers et réussir l’exercice de vulgarisation : une touche de storytelling, un soupçon d’humour, quelques analogies bien choisies et le tour est joué !
Par ailleurs, les scientifiques peuvent aussi se montrer très créatifs : il faut assurément une bonne dose d’imagination pour élaborer les hypothèses à l’origine de théories aussi brillantes que celles de la relativité, de la génétique ou du big bang ! De quoi rivaliser avec les intrigues de nombreux romans, n’est-ce pas ?
Quelques exemples de scientifiques écrivains
J’ai déjà cité sur ce blog l’excellent Denis Gedj et son Théorème du perroquet abordant l’histoire des mathématiques. Ce roman n’est pas son seul ouvrage. Citons, entre autres, le Mètre du monde évoquant l’introduction du système métrique en France, ou les Cheveux de Bérénice, relatant la mesure de la circonférence terrestre par Erasthotène. Le tout merveilleusement conté, sans longueurs ni platitudes.
On ne compte plus les ouvrages scientifiques en tant que tel, qui, souvent, ont fait la renommée de leurs auteurs. Quelques exemples, en vrac :
- De l’origine des espèces, Charles Darwin ;
- Pensées, Blaise Pascal ;
- Une brève histoire du temps, Stephen Hawking ;
- Sapiens, Yuval Noah Harari;
- Devenez sorciers, devenez savants, Georges Charpak et Henri Broch ;
- La double hélice, James D. Watson ;
- etc.
La liste est longue et remonte dans le passé jusqu’aux confins de l’histoire des hommes avec les ouvrages de Copernic, Galilée, Aristote, Hippocrate et bien d’autres encore.
S’il est aujourd’hui connu pour son parcours politique, Cédric Villani est avant tout un mathématicien brillant, détenteur de la médaille Fields, récompense dont le prestige n’a rien à envier à celui du prix Nobel. Mais c’est aussi un écrivain passionné de vulgarisation comme en témoignent ses nombreux ouvrages. Vous avez peut-être entendu parler de Théorème vivant, best-seller retraçant ses années de recherche.
À l’origine, Fred Vargas est archéozoologue. Pourtant, Google en parle comme d’une écrivaine célèbre, dont les romans policiers font le bonheur d’un nombre incalculable de fans (oui, j’en fais partie). Preuve, s’il en est besoin, que les esprits cartésiens peuvent réussir (avec brio) dans la fiction.
Je ne peux pas terminer cet article sans citer Jules Verne, auteur passionné d’astronomie, biologie, géologie ou mécanique des fluides. Car, l’inverse existe aussi. Les écrivains peuvent également s’intéresser aux grands sujets scientifiques.
Oui, les scientifiques peuvent écrire leur livre, et ce, quels que soient leur niveau, leurs réalisations, leurs envies ou leurs domaines d’expertise. D’ailleurs, heureusement qu’ils ne s’en privent pas ! C’est une manière pérenne de transmettre leur message au monde, de contribuer au progrès technologique ou, tout simplement, de divertir leurs lecteurs…